Un vote historique, une percée pour le Kosovo et une licorne

Une bête fantastique qui n'existe nulle part
4/2024
15 May 2024

Chers amis d’ESI,

Personne ne s’attendait à ce vote historique il y a encore deux mois :

131:29

La semaine dernière, le 16 avril, la principale institution européenne de défense des droits de l’homme a envoyé depuis Strasbourg, un message fort en direction des gouvernements de tout le continent. Par 131 voix contre 29, les parlementaires représentant les 46 démocraties européennes ont convenu à une large majorité, et sur le fondement de quatre rapports détaillés, de ce qui suit :

« Les aspirations du Kosovo à adhérer au Conseil de l’Europe devraient recevoir une réponse positive. »

« Le cadre juridique du Kosovo est largement conforme aux normes du Conseil de l’Europe et sa Constitution est un instrument très progressiste. »

L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE, Assemblée) a reconnu les « progrès réalisés par le Kosovo dans les domaines des droits de l’homme, de la démocratie et de l’Etat de droit. » Elle a invité les gouvernements des 46 Etats membres du Conseil de l’Europe à admettre le Kosovo comme Etat membre lors de la prochaine réunion des ministres des affaires étrangères qui se tiendra à la mi-mai 2024.

Ce sera un grand succès pour le Conseil de l’Europe. Il y a 75 ans, lorsque cette institution a été créé à Londres en avril 1949, elle comptait dix membres. Après l’adhésion du Kosovo, elle en comptera 47 et inclura, ainsi, toutes les démocraties européennes.

 

Sous des nuages sombres - dans un monde dangereux

Il y a seulement deux mois, fin février 2024, le Kosovo était en butte à la fois aux menaces grandissantes de la part de la Serbie et à de vives tensions avec ses alliés traditionnels. Même les principaux partisans de l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe avaient perdu tout espoir de voir cette adhésion se réaliser au cours de l’année en cours.

Les menaces de la Serbie s’intensifiaient depuis des mois. L’été dernier, le 14 juin 2023, les forces spéciales de la police serbe ont enlevé trois agents de la police des frontières du Kosovo et les ont détenus pendant douze jours. Le 23 juin, dans le nord du Kosovo, la police a arrêté une voiture serbe transportant des armes. Le 24 septembre 2023, encore dans le nord, des paramilitaires serbes lourdement armés ont attaqué la police du Kosovo, faisant un mort. Les paramilitaires serbes se sont ensuite barricadés dans le monastère orthodoxe de Banjska. Lors de l’échange de tirs avec la police du Kosovo, trois des assaillants ont été abattus.

Weapons seized on 24 September 2023 in the North of Kosovo
Armes saisies le 24 septembre 2023 dans le nord du Kosovo

A la suite de cette attaque, les autorités du Kosovo ont saisi un grand nombre d’armes sophistiquées, de quoi équiper des dizaines de combattants. Le chef du groupe paramilitaire s’est enfui en Serbie. Le 3 octobre, le commissaire européen Janez Lenarcic a déclaré au Parlement européen que : « L’ampleur de l’opération [du 24 septembre] est sans précédent. La quantité d’armes confisquées est énorme ... la situation dans le nord du Kosovo est extrêmement sérieuse. » Le 9 janvier 2024, le ministre britannique des affaires étrangères, David Cameron, a déclaré devant la commission des affaires étrangères du Royaume-Uni :

« Nous disposons de données très précises sur ce qui s’est passé ce jour-là [le 24 septembre] Si l’on considère la quantité d’armes apportées au Kosovo et le nombre de personnes, si ce groupe n’avait pas été arrêté grâce à l’opération de la police du Kosovo, il y aurait eu une série d’attaques contre les postes de cette dernière et il y aurait également eu des barricades dans les rues... Ce groupe ne disposait pas seulement d’armes, mais aussi d’un équipement très lourd. »

Leader of Serb paramilitaries on 24 September 2023 in Kosovo and with 
Serbian president Aleksandar Vucic
A gauche, le chef des paramilitaires serbes, le 24 septembre 2023 au Kosovo ; à droite, Radoicic aux côtés du président serbe Aleksandar Vucic

Le chef du groupe paramilitaire a été filmé dans le monastère et rapidement identifié : Il s’agit de Milan Radoicic, l’homme fort de Mitrovica Nord. Le chef adjoint du parti politique dominant des Serbes du Kosovo, La liste serbe, et l’allié du président serbe Aleksandar Vucic, Milan Radoicic a admis lors d’une conférence de presse en Serbie qu’il avait mené l’attaque. Il est depuis longtemps connu pour ses actes d’intimidation et de violence à l’encontre des Serbes du Kosovo.

Le 3 octobre 2023, le département d’Etat américain a constaté un renforcement alarmant de la présence militaire serbe à la frontière du Kosovo : « Nous avons observé un déploiement sans précédent d’artillerie avancée, de chars et d’unités d’infanterie mécanisée serbes le long de la frontière avec le Kosovo. Nous avons demandé à la Serbie de retirer ses forces de la frontière. » Ce jour-là, Aleksandar Vucic a expliqué à la télévision qu’Anthony Blinken, le secrétaire d’État américain, avait été impressionné par ce déploiement de force militaire :

« Lors de cet appel téléphonique, j’ai pu constater que, pour la première fois, il [Blinken] était troublé. J’ai compris pourquoi. Il ne s’agissait pas du nombre de soldats présents... L’année dernière, nous étions 14,000, et aujourd’hui nous sommes 8,400... Mais ce qui les a effrayés, ah, c’est idiot de dire qu’un petit pays comme la Serbie a effrayé qui que ce soit, permettez-moi de reformuler ainsi : ce qui les a inquiétés, c’est que pour la première fois, nous avons déplacé certaines de nos armes sophistiquées vers cette frontière. Nous n’avons pas apporté nos armes habituelles, comme quelques chars et véhicules blindés, mais des armes plus sophistiquées. La Serbie s’est sérieusement renforcée ces derniers temps. »

Il est frappant de constater qu’en dépit de l’attaque du 24 septembre, de l’assassinat d’un policier kosovar, de la découverte de nombreuses armes illégales et de l’impunité persistante de Radoicic en Serbie, et ce, au mépris d’un mandat d’arrêt international, ce sont les relations entre le Kosovo et ses partenaires traditionnels, les Etats membres de l’UE et les Etats-Unis, qui semblaient avoir atteint un point bas au début de l’année 2024.

A la mi-février 2024, de hauts fonctionnaires américains se sont publiquement plaints de la « détérioration des relations » entre le Kosovo et les Etats-Unis. Les relations avec l’UE étaient tout aussi tendues. Le 14 juin 2023, jour de l’enlèvement des trois policiers kosovars dans le nord du Kosovo, la Commission européenne a annoncé des « mesures négatives » (= sanctions) à l’encontre du Kosovo. Jusqu’à présent, la Commission européenne n’a pas proposé de lever ces « mesures négatives ». Elle les a maintenues après l’attentat du 24 septembre. Elle les a également maintenues malgré l’appel du Parlement européen à les lever en octobre 2023.

 

Une percée inattendue

Et puis, il s’est produit un événement auquel peu de gens s’attendaient. Le gouvernement du Kosovo a pris le taureau par les cornes et, en l’espace de quelques jours, a levé tous les obstacles sur la voie de l’adhésion au Conseil de l’Europe.

Le 3 mars 2024, le premier ministre du Kosovo, Albin Kurti, a envoyé une lettre à tous les membres du bureau de l’APCE et à l’ancienne ministre grecque des affaires étrangères Dora Bakoyannis, rapporteure en charge d’évaluer cette demande d’adhésion au Conseil de l’Europe. Kurti a engagé son gouvernement à prendre « toutes les mesures nécessaires pour que l’APCE adopte une position favorable sur notre demande d’adhésion lors de sa session d’avril [2024]. »   

Le 13 mars, Kurti a annoncé que l’obstacle le plus important identifié par les juristes dans leur rapport au Conseil de l’Europe sur l’adhésion du Kosovo serait immédiatement surmonté. Cet obstacle s’appelait l’affaire Decani et concernait les terrains contestés de ce monastère. Pendant de longues années, l’Agence cadastrale du Kosovo avait refusé de se conformer aux arrêts de la Cour suprême et de la Cour constitutionnelle relatifs à cette propriété. Le gouvernement a fait pression sur l’Agence pour qu’elle fasse le nécessaire sans délai.

Mémo d’ESI sur l’affaire Decani - 4 mars 2024
A monastery, Kosovo courts and the Council of Europe

Ce fut certainement une percée. Le 20 mars, tout en remerciant le rapporteur du Conseil de l’Europe, le monastère de Decani a confirmé la réception de l’extrait cadastral correspondant à l’ensemble des terrains contestés.

Decani Monastery

Ensuite, le gouvernement du Kosovo a lancé une campagne diplomatique sans précédent auprès de tous les acteurs clés du Conseil de l’Europe. Le 22 mars, le président, le premier ministre et le président du parlement du Kosovo ont envoyé une lettre conjointe à la rapporteure de l’APCE, Dora Bakoyannis, engageant leurs institutions à résoudre tous les problèmes de droits de l’homme identifiés.

Joint letter to PACE rapporteur Dora Bakoyannis

La lettre conjointe abordait toutes les questions en suspens soulevées par l’APCE, y compris celle de l’Association des municipalités à majorité serbe (AMS). Les dirigeants kosovars s’engageaient ainsi à « prendre des mesures substantielles et tangibles » à ce sujet « dès que possible » :    

Kosovo’s leaders promised to “take substantial and tangible steps” on this “as soon as possible”

Eiffel Tower in Paris Centre Pompidou in Paris
Décision de Paris sur le Kosovo, adoptée le 27 mars 2024.

Le 27 mars, à la suite de la percée de Decani et de cet engagement des dirigeants du Kosovo, un premier vote historique a eu lieu au sein de la commission des questions politiques et de la démocratie de l’APCE à Paris. Les 31 membres de la commission de l’APCE ont voté en faveur du rapport Bakoyannis, qui recommandait l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe. Seuls quatre membres ont voté contre (deux représentants de la Serbie, un représentant du Monténégro et un représentant de la Bosnie-Herzégovine).

Parliamentary Assembly of the Council of Europe
Décision de Strasbourg sur le Kosovo, adoptée le 15 avril 2024.

Le 15 avril, un vote a eu lieu cette fois-ci à Strasbourg, au sein de deux autres commissions de l’APCE : la commission sur l’égalité et de la non-discrimination et la commission des questions juridiques et des droits de l’homme. Cela a donné un nouvel élan : les deux commissions ont, elles aussi, recommandé l’adhésion du Kosovo. La commission des affaires juridiques a pris sa décision à l’unanimité, après le départ des membres serbes juste avant le vote.

La voie était ainsi ouverte pour la grande finale en session plénière de l’APCE dans l’après-midi du 16 avril à Strasbourg. Le vote a été précédé d’un débat intense et prolongé, les orateurs se succédant pour soutenir le rapport Bakoyannis et la recommandation des trois commissions Les représentants de l’éventail politique allant des chrétiens-démocrates aux verts en passant par les libéraux et les sociaux-démocrates se sont exprimés. Les parlementaires de Grèce, de Roumanie, d’Allemagne, d’Ukraine, d’Italie et d’Arménie ont pris la parole. Un membre allemand de l’APCE, Knut Abraham (CDU) a dit:

« J’espère que cette Assemblée apportera un soutien fort aujourd’hui [au Kosovo]. Nous allons ainsi envoyer un message fort, une signature forte au Comité des Ministres pour qu’il prenne une décision positive sur l’adhésion du Kosovo en mai prochain. Je transmettrai personnellement ce message à Berlin et j’espère que vous le transmettrez tous à vos capitales nationales. Permettez-moi d’insister sur un point essentiel, à savoir la protection des minorités au Kosovo, en particulier la minorité serbe du Kosovo. Il est absurde de leur refuser l’accès aux instruments que cette institution peut offrir : rapporteurs, observateurs et surtout la plus remarquable cour des droits de l’homme au monde, la Cour européenne des droits de l’homme. » 

Un autre membre allemand, Frank Schwabe (SPD) a fait, lui aussi, connaitre sa position comme suit :

« Le Comité des Ministres, les gouvernements nous ont demandé notre avis sur la demande du Kosovo de devenir membre de cette organisation. Nous donnerons notre réponse, une réponse claire, aujourd’hui. Le message est clair. Il n’y a donc aucune raison de ne pas prendre de décision en mai [2024], lors de la réunion ministérielle, sur cette demande. Ce Conseil de l’Europe, avec ses valeurs et ses règles, a sa propre dignité. Ne le confondez pas avec d’autres institutions. Nous ne sommes pas l’Union européenne. Nous ne sommes pas le groupe Quint [États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie]. Ils ont leurs raisons, mais nous avons les nôtres. Nous sommes fiers d’être parvenus, avec notre rapporteure, à un résultat que d’autres n’ont pas pu atteindre jusqu’à présent. »

Les mots de conclusion de la députée socialiste serbe Dunja Simonovic Bratic n’ont pas convaincu les autres membres de l’Assemblée : « Pour finir, je vous demande de bien vouloir retenir mes mots, car ce sont les mots de tout le peuple serbe : le Kosovo était la Serbie, le Kosovo est la Serbie et le Kosovo sera toujours la Serbie. » Il est frappant de constater que des membres représentant de nombreux pays qui n’ont pas encore reconnu le Kosovo – la Grèce, la Roumanie, l’Ukraine, l’Arménie - ont plaidé et voté en faveur de son adhésion, ce qui a abouti à ce résultat spectaculaire : 131 voix pour et seulement 29 voix contre.

Knut Abraham Dunja Simonovic Bratic
Knut Abraham pour, Dunja Simonovic Bratic contre l’adhésion du Kosovo – Strasbourg.

Verbatim d’un débat historique – 16 avril 2024 (en anglais)

La balle est maintenant dans le camp des 46 gouvernements représentés au sein du Comité des Ministres. Ils avaient demandé l’avis de l’APCE en 2023. Ils ont maintenant une réponse claire. Il faudra 31 voix pour l’adhésion. Cette question sera maintenant soumise au vote lors de la réunion annuelle des ministres les 16 et 17 mai.

Mais, est-ce que tout se passera vraiment comme prévu ? Pas si le président serbe Vucic parvient à ses fins. Ce dernier s’est ouvertement engagé à tout mettre en œuvre pour empêcher l’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe.

 

Une lettre de Belgrade ou comment la Serbie perd la bataille

Le 12 avril, quatre jours avant le grand vote de l’APCE, le président serbe Aleksandar Vucic a envoyé aux dirigeants des Etats membres du Conseil de l’Europe de nombreuses lettres longues et furieuses sur « la demande d’adhésion au Conseil de l’Europe du soi-disant Kosovo. »

Dans ces lettres, Vucic avance cinq arguments : Le Kosovo ne répond pas aux normes du Conseil de l’Europe ; il existe au Kosovo une terreur d’Etat contre les Serbes ; la preuve de cette terreur est la forte diminution du nombre de Serbes du Kosovo ; la référence aux conditions « post-adhésion » dans le rapport Bakoyannis est une farce ; et, avant toute chose, il faut établir une Communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo. Avec ces arguments, le président serbe appelle les dirigeants européens à reporter tout vote sur l’adhésion du Kosovo, dans l’espoir que, de cette manière, le vote n’aura jamais lieu, que l’APCE sera humiliée d’avoir soutenu le Kosovo et que son vote et sa recommandation seront considérés comme non pertinents.

Répondre aux normes du Conseil de l’Europe

Dans ses lettres, Vucic affirme que le Kosovo ne répond pas aux normes du Conseil de l’Europe en matière de droits de l’homme, en se référant à l’avis des « organes compétents » :

« Je crois qu’il est important de vous informer que les organes compétents du Conseil de l’Europe ... ont encore récemment souligné de manière déterminante que le soi-disant Kosovo ne répondait pas à ces normes. »   

Lorsque Vucic a écrit cela le 12 avril, les éminents juristes ayant rédigé un rapport pour l’APCE sur cette même question en novembre 2023, ainsi que la rapporteure et la commission politique de l’APCE à Paris, avaient en fait déjà conclu que le Kosovo répondait à ces normes. Quatre jours après la lettre de Vucic, les 15 et 16 avril, les votes à Strasbourg ont eu lieu. Ainsi, tous les « organes compétents du Conseil de l’Europe » étaient parvenus à la même conclusion : le Kosovo était prêt à adhérer. Aucun organe compétent du Conseil de l’Europe ne recommande aujourd’hui autre chose. Ecouter les « organes compétents » conduit donc à soutenir dès maintenant l’adhésion du Kosovo.

« Terreur »

Le deuxième argument de Vucic concerne la « terreur qui sévit dans le Kosovo contre les Serbes » :   

« Le soi-disant Kosovo mène une campagne d’attaques généralisées, bien planifiées et systématiques, motivées par des considérations ethniques, contre les civils serbes, dans le but de commettre le crime d’expulsion des Serbes qui constitue un crime contre l’humanité. »

Comment, demande Vucic, peut-on discuter de l’adhésion du Kosovo, alors que son gouvernement se livre à une violence « généralisée, bien planifiée et systématique ? » Le fait qu’aucun des rapporteurs du Conseil de l’Europe n’ait trouvé la moindre preuve d’une telle « violence systématique » ou du crime grave de nettoyage ethnique est tout simplement ignoré. Il en va de même du fait qu’aucun des nombreux observateurs internationaux ayant du personnel sur le terrain au Kosovo – de la KFOR à EULEX (la mission « Etat de droit » de l’UE), de la MINUK à l’OSCE – n’a vu ou décrit de telles attaques généralisées, un tel « nettoyage ethnique » ou une telle « terreur » albanaise au cours des dernières années dans l’un quelconque de leurs copieux rapports.

Les sources de Vucic semblent être des tabloïds serbes. On peut supposer que le gouvernement serbe sait également très bien qu’il diffuse de la désinformation lorsque ses ministres disent aux ambassadeurs à Belgrade qu’un grand nombre de Serbes du Kosovo ont été tués au Kosovo ces dernières années en raison de l’hostilité ethnique ou de la répression de la part des autorités kosovares. Les statistiques officielles de la police montrent qu’entre début 2021 et fin 2023, 76 personnes ont été assassinées au Kosovo. Trois d’entre elles étaient des Serbes. Toutes trois ont été tuées par des Serbes (rappelons également les trois membres du groupe paramilitaire serbe qui sont morts lors de la fusillade avec la police du Kosovo à la suite de leur attaque le 24 septembre 2023).

 “He [Kosovo prime minister Kurti] wants to ethnically cleanse Serbs.” (25 September 2023)
“Final act: Kurti is speeding up ethnic cleansing of Serbs in Kosovo” (26 September 2023)
 « Il [le premier ministre du Kosovo, Kurti] veut procéder à un nettoyage ethnique des Serbes. » (25 septembre 2023)
« Dernier acte : Kurti accélère le nettoyage ethnique des Serbes au Kosovo » (26 septembre 2023)

Et pourtant, de tels mensonges sont dangereux. Le 6 juillet 2023, le président serbe Aleksandar Vucic a déclaré publiquement que l’OTAN et l’ONU avaient quatorze jours pour désarmer les forces de police du Kosovo et pour protéger les Serbes du Kosovo des « pogroms et du nettoyage ethnique » albanais en cours. Sinon, « quelqu’un d’autre » devrait s’en charger. L’absence de preuves n’a pas empêché ces affirmations incendiaires d’être formulées. En inventant des crimes d’« expulsion systématique », le président de la Serbie justifie de manière préventive l’intervention militaire serbe au Kosovo pour « protéger les Serbes. » Lorsque l’on invente des pogroms, la violence est toujours au rendez-vous.

Return of Serb paramilitaries in north Kosovo, 24 September 2023
Retour des paramilitaires serbes dans le nord du Kosovo, le 24 septembre 2023.

Une communauté serbe en voie de disparition

Vucic ne s’arrête pas là. Après les fausses allégations de crimes contre l’humanité, il affirme également dans ses lettres que le Kosovo ne doit pas adhérer au Conseil de l’Europe parce que (en gras) « PLUS DE 15 POUR CENT DE LA POPULATION SERBE A QUITTE LE SOI-DISANT KOSOVO. »

Le président serbe a déjà fait des déclarations similaires auparavant. Le 5 octobre 2023, il a expliqué qu’en raison de la « terreur albanaise », 11 pour cent des Serbes du Kosovo avaient quitté le Kosovo depuis le début de l’année 2021. Le 8 février 2024, s’exprimant devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Vucic a parlé de « 14 pour cent » qui avaient quitté le Kosovo en un an seulement. Aujourd’hui, il parle de plus de 15 pour cent, sur une période non précisée. Il dit non seulement que les Serbes quittent le Kosovo en grand nombre, mais aussi que c’est le résultat d’une politique d’Etat visant à créer des conditions de vie insupportables ; que c’est la faute du gouvernement du Kosovo.

Pour asseoir ce débat sur une base solide, ESI a examiné cet argument dans un document de référence récemment publié :

Nouveau document de référence d’ESI :
Invented pogroms – Statistics, lies and confusion in Kosovo 
(19 février 2024)

En fait, les données administratives officielles provenant de sources publiques serbes (!) révèlent une réalité frappante. Oui, il y a eu un déclin spectaculaire de la population entre 2002 et 2024, d’environ 22 pour cent : de quelque 129,000 personnes à 100,000. Le nombre d’élèves de l’enseignement primaire a connu une baisse encore plus importante au cours des deux décennies allant de 2004 à 2024, de l’ordre de 26 pour cent. Si ces tendances se poursuivent, il est probable que la communauté finira par disparaître. Il y a donc un vrai souci à cet égard.

Tables: Serbs in Kosovo

Sources et données : Invented Pogroms (2024)

Il faut toutefois prendre en compte le contexte régional. Elargissons la perspective. Entre 2002 t 2022, la population de la Serbie a diminué de 851, 000 personnes, passant de 7,5 à 6,6 millions d’habitants, soit une baisse de 11 pour cent. Les tendances observées dans les 25 districts administratifs de la Serbie (en serbe : « okrug ») montrent qu’il y a eu une baisse d’au moins 20 pour cent dans 13 des 25 districts. En fait, le déclin de la population est encore plus important dans huits (!) districts qui comptaient au total un million d’habitants en 2022, que chez les Serbes du Kosovo. Si l’on examine les districts serbes voisins du Kosovo, on constate que ceux-ci, avec une population totale de 662,000 habitants en 2022, ont perdu 167,000 habitants, soit 20 pour cent.

Table: Population decline in districts bordering Kosovo

Les choses sont encore plus frappantes si l’on se limite aux jeunes. La baisse du nombre d’élèves serbes qui vont à l’école primaire au Kosovo est spectaculaire (26 pour cent). Mais si l’on examine les 25 districts de Serbie, on constate que la baisse du nombre d’élèves est plus importante dans 22 districts sur 25 (!) que dans les écoles serbes du Kosovo. Et le nombre d’élèves dans l’entité serbe de la Bosnie-Herzégovine, c’est-à-dire dans cette composante qui dotée de pouvoirs substantiels, affiche une baisse encore plus importante. Dans les écoles de la Republika Srpska, le nombre d’élèves a diminué de 32 pour cent en moins de vingt ans. Ici, le président s’appelle Milorad Dodik, et non Vjosa Osmani.

Le tableau d’ensemble est sombre : les données administratives officielles montrent un effondrement de la population serbe tant en Serbie qu’au Kosovo, et plus encore en Bosnie. C’est dans les régions périphériques, comme le sud de la Serbie (à la frontière du Kosovo), que le déclin est le plus spectaculaire. La question qui se pose aux décideurs politiques de Belgrade, de Banja Luka et de Mitrovica Nord est de savoir comment surmonter une dynamique aussi catastrophique, qui se nourrit de l’isolement continu et du retard économique de la Serbie, de la Republika Srpska et du Kosovo.

Tenir le Kosovo et sa minorité serbe à l’écart des institutions internationales dédiées à la protection des droits de l’homme est une façon étrange d’essayer d’inverser cette tendance. Ce qui est certain, c’est que la rhétorique sur les pogroms inventés est plus susceptible d’accélérer que d’inverser ce déclin démographique. Il en va de même pour les craintes d’un éventuel conflit armé.

Les conditions « post-adhésion », une farce ?

Dans sa lettre aux dirigeants de l’UE, Vucic avance un quatrième argument. Il prévient que l’idée même du rapport Bakoyannis selon laquelle le Kosovo s’est engagé à mettre en œuvre certaines choses après son adhésion au Conseil de l’Europe est inacceptable. Pourquoi, demande Vucic, l’APCE parle-t-elle de conditions « post-adhésion » ?

« Bien entendu, il est absolument clair que cette expression hybride signifie qu’il n’y a en réalité aucune condition ...ce concept sape directement la crédibilité du Conseil de l’Europe et renvoie au fait que le soi-disant Kosovo n’aura, en substance, aucune obligation ... »

Voilà qui soulève une question intéressante ! Comment le président de la Serbie perçoit-il l’adhésion au Conseil de l’Europe ? Une fois qu’un pays a rejoint l’institution, tout levier disparaît et il n’y a plus aucune condition réelle ? (La Serbie a également rejoint le Conseil de l’Europe en 2002 avec des conditions post-adhésion : Avis 239 de l’APCE).

Cet argument suggère que les travaux de l’APCE ou de la Cour européenne des droits de l’homme et ses arrêts, par ce qu’ils se produisent après l’adhésion, ne représente aucun intérêt. C’est un plaidoyer de désespoir que les membres du Comité des Ministres ne peuvent prendre au sérieux.

Une association de municipalités serbes

En résumé : Etant donné que ...

... tous les « organes compétents du Conseil de l’Europe » recommandent l’adhésion du Kosovo.

... les allégations de terreur systématique à l’encontre des Serbes du Kosovo ne reposent sur aucune preuve. 

... la « terreur » publique n’explique donc pas le déclin de la population serbe du Kosovo.

... et la notion de conditions « post-adhésion » est fondée sur l’attente ferme que cette adhésion contribue à la protection des droits de l’homme ...

... quels arguments reste-t-il pour convaincre les Etats membres de ne pas suivre la recommandation de l’APCE, de ne pas voter en mai en faveur de l’adhésion du Kosovo et de ne pas offrir ainsi à toute la population du Kosovo, y compris à la minorité serbe, les avantages du régime de protection des droits de l’homme le plus avancé au monde ?

Il y a un autre argument. Il s’agit de la baguette magique de la diplomatie publique de Vucic. Dans les lettres qu’il adresse aux dirigeants, il est également écrit en caractères gras : Le Kosovo n’a pas abordé « la question la plus importante - LA FORMATION DE LA COMMUNAUTÉ DES MUNICIPALITES A MAJORITE SERBE (CMS). » Il s’agit d’un argument familier, largement évoqué et profondément trompeur.

Tout d’abord, parce que même si le Kosovo acceptait la formation d’une telle communauté, la Serbie continuerait très certainement à s’opposer à son adhésion au Conseil de l’Europe et à faire campagne contre elle. Mais surtout, parce qu’aucun gouvernement kosovar ne peut satisfaire ce que Vucic prétend vouloir. Cette COMMUNAUTÉ DES MUNICIPALITES A MAJORITÉ SERBE (CMS) telle qu’il la conçoit est un piège pour les gouvernements du Kosovo et les médiateurs internationaux.

Commençons par la question de base : Qu’est-ce qu’une communauté de municipalités à majorité serbe (CMS) ? Le mot serbe pour « communauté » (également utilisé ici) est zajednica. Existe-t-il ailleurs une telle « communauté » (zajednica) de municipalités que l’on pourrait étudier pour mieux comprendre ce dont nous parlons ici ? Eh bien, oui, et il n’est pas nécessaire d’aller chercher très loin.

Zajednica Opština Crne Gore

Union (Zajednica) des municipalités du Monténégro = une association

Au Monténégro, voisin de la Serbie, il existe la Zajednica Opstina Crne Gore. Le nom de cette entité est généralement traduit en français comme « Union des municipalités du Monténégro », mais en serbe/monténégrin, la traduction peut aussi bien se faire comme « Communauté des municipalités du Monténégro ». Mais c’est là que les choses deviennent intéressantes. Juridiquement, la Zajedinca monténégrine est bien sûr une association de droit civil, comme tous les autres organismes de ce type en Europe.

C’est également ce que l’APCE a demandé dans le cas du Kosovo : la création d’une association de municipalités à majorité serbe. Il est à noter que l’avis de l’APCE adopté la semaine dernière ne fait nulle part référence à une communauté de municipalités à majorité serbe (CMS), mais envoie un message clair en faveur de la création d’une association de municipalités à majorité serbe (AMS).

  Wondering child. Photo: Freepik https://www.freepik.com/free-photo/blonde-boy-being-charming-with-copy-space_5142525.htm
Une communauté de communes est-elle la même chose qu’une association de communes ?
Et si ce n’est pas le cas, s’agit-il d’une chose ?

Les éminents juristes qui se sont penchés sur cette question dans leur rapport de novembre 2023 pour l’APCE ont utilisé le même langage, ne parlant que d’une association de municipalités à majorité serbe (AMS).

Association of Serb majority municipalities (ASM)

Extrait du rapport des éminents juristes (novembre 2023)

Les éminents juristes examinent en détail le lien entre la demande d’une AMS et les normes du Conseil de l’Europe :

« Les normes du Conseil de l’Europe relatives à la décentralisation et à la participation effective des minorités sont applicables en l’espèce, en particulier la Charte européenne de l’autonomie locale. »

Les juristes rappellent l’article 10 de la Charte européenne de l’autonomie locale, qui énonce le droit de toutes les collectivités locales à s’associer :

« 1. Les collectivités locales ont le droit, dans l’exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s’associer avec d’autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d’intérêt commun.

2. Le droit des collectivités locales d’adhérer à une association pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs et celui d’adhérer à une association internationale de collectivités locales doivent être reconnus dans chaque État. »

C’est tout à fait logique. Et tout le monde au Conseil de l’Europe sait ce qu’est une association. La liberté d’association est un droit fondamental affirmé dans la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 11 de cette convention prévoit ce qui suit :

« Toute personne a le droit de prendre part à des réunions pacifiques et de créer des associations – y compris des syndicats – et d’y adhérer. Chacun peut organiser des réunions privées ou publiques, des associations et des partis politiques. Les autorités doivent tout mettre en œuvre pour que les citoyens ne soient pas dissuadés d’exercer ce droit. Ce droit concerne aussi bien les réunions privées que publiques, les associations et les partis politiques. »

C’est pourquoi l’avis de l’APCE conclut :

« L’Assemblée considère que l’établissement de l’Association des municipalités à majorité serbe est une étape importante et un moyen de renforcer la participation démocratique et l’autonomisation des Serbes du Kosovo et d’assurer la protection de leurs droits. L’Assemblée estime que l’établissement de l’Association devrait figurer dans l’examen futur par le Comité des Ministres de la demande d’adhésion du Kosovo au Conseil de l’Europe, en tant qu’engagement post-adhésion du Kosovo. »

Jusqu’ici, tout est clair : dans les démocraties européennes, les municipalités ont le droit de créer des associations de municipalités et d’y adhérer. La Charte européenne de l’autonomie locale, un document du Conseil de l’Europe datant de 1985, le confirme. Il existe de nombreuses associations de ce type dans les Balkans. Les municipalités du Kosovo ont le même droit. Il existe une loi kosovare sur les associations. Il existe également une association des municipalités du Kosovo.

Quelques associations de municipalités déjà établies dans les Balkans occidentaux

Association albanaise des municipalités
Association des municipalités et des villes de la Fédération de Bosnie-Herzégovine
Union des municipalités et des villes de la Republika Srpska
Union des municipalités du Monténégro
Association des unités d’autonomie locale de la République de Macédoine du Nord
Conférence permanente des villes et municipalités - Association nationale des autorités locales de Serbie
Association des municipalités du Kosovo.

Mais c’est là que les choses deviennent intéressantes : Rien n’empêche l’une ou l’autre des dix municipalités à majorité serbe du Kosovo de créer leur propre association de municipalités à majorité serbe. Pour ce faire, elles n’ont pas besoin de l’autorisation du gouvernement du Kosovo, du gouvernement serbe, des ambassadeurs à Pristina ou du Conseil de l’Europe. Ils peuvent le faire dès maintenant.

La liberté d’association est un droit et son exercice ne nécessite pas d’autorisation gouvernementale.
 
Tout cela est clairement indiqué dans le rapport rédigé par les éminents juristes. Selon ce rapport,

« ...conformément aux normes juridiques nationales et européennes, il devrait être possible de définir des modes d’association significatifs convenus pour les municipalités à majorité serbe. »

Certains de nos interlocuteurs ont exprimé la crainte qu’une telle association ne devienne un instrument d’intervention des autorités serbes au Kosovo, voire qu’elle ne soit utilisée à des fins séparatistes, compte tenu de la situation actuelle dans le nord du Kosovo et dans la Republika Srpska de Bosnie-Herzégovine.

Il est légitime d’exiger que les statuts de l’association respectent la législation kosovare. Le Kosovo n’est pas non plus obligé d’accepter que des pouvoirs qui relèvent normalement des autorités centrales soient accordés à une telle association. La délégation de pouvoirs supplémentaires par les autorités centrales est bien entendu possible après accord des parties. L’étendue des pouvoirs des municipalités est en tout cas relativement large et, selon le droit kosovar, certaines municipalités serbes ont, sur la base de la proposition Ahtisaari, des compétences renforcées dans le domaine des soins de santé secondaires et de l’éducation, et toutes les municipalités à majorité serbe ont des compétences renforcées dans le domaine de la culture. »

Les éminents juristes ont conclu :

« Il ne semble y avoir aucune raison juridique pour que ces municipalités ne puissent pas, sur une base volontaire, coordonner l’exercice de leurs compétences et mettre en commun, s’il y a lieu, l’exercice de ces compétences – étant entendu qu’il y a des limites à cette mise en commun puisque les municipalités à majorité serbe du Sud n’ont pas de territoire contigu. Cette approche est conforme au plan Ahtisaari, qui prévoyait que ‘[l]es municipalités peuvent confier à des associations de municipalités l’exercice de responsabilités relevant tant de leur compétence propre que de leur compétence élargie.’ »

Cependant, il est également clair que dans les Etats membres du Conseil de l’Europe, les associations de municipalités ne sont pas établies par les gouvernements. Celles-ci sont établies par ceux qui veulent s’associer. La législation du Kosovo le permet déjà. Alors pourquoi cela ne se produit-il pas ?

C’est là que le piège de Vucic s’ouvre.

 

Une licorne politique

Aleksandar Vucic a fait oublier aux médiateurs internationaux ce que disent et exigent le plan Ahtisaari (base de la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo par ces pays en 2008), la constitution du Kosovo, la Charte européenne de l’autonomie locale et la Convention européenne des droits de l’homme. Il a répété à l’envi que cette « association/communauté » particulière devait être une entité unique, sui generis, différente de toutes les associations de ce type existant ailleurs. Et il n’a cessé de répéter qu’elle devait également être imposée par décret par le gouvernement du Kosovo.

L’idée qu’un gouvernement national puisse associer d’en haut des unités autonomes de gouvernement local, en particulier dans un cas affectant une minorité nationale, au point de retirer à celles-ci leurs pouvoirs exclusifs et d’ignorer leurs droits constitutionnels, est bizarre. L’UE et ses Etats membres ne devraient pas le demander. Ils devraient même faire tout à fait le contraire, et s’y opposer sur le fondement des normes du Conseil de l’Europe qui s’appliquent déjà au Kosovo.

Seules les municipalités à majorité serbe qui souhaitent s’associer peuvent légitimement créer une AMS. Mais le veulent-elles ? Depuis 2013, aucune proposition d’AMS respectant les normes du Conseil de l’Europe n’a été présentée. En fait, les municipalités à majorité serbe n’ont pas besoin de soumettre les statuts de leur association au gouvernement du Kosovo ; elles pourraient, si elles le voulaient, les rédiger (dans le respect de la constitution kosovare et de la loi sur l’autonomie locale) et demander conformément à la loi, l’inscription de leur association  sur le registre. Elles peuvent même l’appeler « communauté/Zajednica », comme au Monténégro. Les municipalités à majorité serbe ont ce droit. Elles doivent seulement l’exercer.

Au contraire, dans un cas étonnant d’hypnose politique, le président de la Serbie a fait croire beaucoup de monde à sa vision des choses:

Tout d’abord, une association de communes est établie d’en haut. Il s’agit là, en fait, d’une licorne politique qui n’existe nulle part ailleurs en Europe.

Deuxièmement, c’est à Vucic même de juger au nom de ces municipalités ce qu’est une AMS acceptable, étant donné qu’il n’y a plus de dirigeants serbes élus dans les quatre municipalités à majorité serbe au Nord depuis fin 2022 ; ceux-ci ont démissionné de leurs postes, ne prennent plus part aux élections, et donc il est impossible de mettre en place une AMS conformément aux normes du Conseil de l’Europe, en leur absence.

Troisièmement, le gouvernement du Kosovo a l’obligation d’établir cette AMS-licorne. Et qu’il ne l’a pas fait depuis des années.

Quatrièmement, en l’absence d’une telle AMS-licorne mal définie, les Serbes du Kosovo et les municipalités à majorité serbe du Kosovo sont privés des droits fondamentaux des minorités et d’une véritable autonomie locale. En réalité, une municipalité à majorité serbe a beaucoup plus de droits que les municipalités de presque tous les autres pays européens, y compris le droit de gérer les soins de santé et les établissements d’enseignement, celui d’utiliser des programmes scolaires serbes et de recevoir le soutien financier de la Serbie, celui de former une association de municipalités et de s’engager dans une coopération entre municipalités. Tous ces droits existent bel et bien aujourd’hui. 

Cinquièmement, parce qu’aucune association de municipalités à majorité serbe n’a vu le jour jusqu’à présent, le Kosovo doit être puni et ne pas pouvoir adhérer à la principale organisation de défense des droits de l’homme en Europe.

Aleksandar Vucic’s style of political argument: Hypnosis
Le style d’argumentation politique d’Aleksandar Vucic.

Il s’agit d’un chef-d’œuvre d’hypnose politique. Il ne reste plus qu’à espérer qu’aucun gouvernement européen représenté au sein du Comité des Ministres ne tombe dans le panneau. Bloquer l’adhésion du Kosovo à cause d’une chasse ratée à la licorne politique serait un point bas dans l’histoire de cette institution.

Sincèrement,


Gerald Knaus

 

Fantastic beasts Vucic’s ASM: something that exists nowhere
Des bêtes fantastiques… – L’AMS de Vucic : quelque chose qui n’existe nulle part.

 

PLUS : Ce que les associations de municipalités sont (et ne sont pas)

En avril 2013, dans le premier accord conclu à Bruxelles entre le Kosovo et la Serbie et ratifié par l’Assemblée du Kosovo au mois de juin de la même année, les deux (!) parties se sont engagées à atteindre un objectif : « Il y aura une association/communauté de municipalités à majorité serbe au Kosovo. » Et : « Les structures de cette association/communauté seront établies sur la même base que les statuts actuels de l’Association des municipalités du Kosovo... »

En août 2015, la haute représentante de l’UE, Federica Mogherini, a écrit une lettre pour expliquer comment l’Union européenne comprenait l’AMS mentionnée dans le premier accord de 2013 : « une association sans pouvoirs exécutifs. »

Letter by EU High Representative Federica Mogherini (2015)

En décembre 2015, la Cour constitutionnelle du Kosovo a rendu un jugement sur l’AMS, se référant à l’article 12 de la Constitution du Kosovo, qui définit les municipalités comme des « unités territoriales de base de l’autonomie locale dans la République du Kosovo » :

« En outre, la Cour constate que … l’acte juridique et les statuts de l’association/communauté ne remplacent ni ne compromettent le statut des municipalités participantes en tant qu’unités de base de l’autonomie locale démocratique au sens de l’article 12 et du chapitre X de la Constitution. »

En janvier 2023, le conseiller du département d’Etat américain Derek Chollet et l’envoyé spécial des États-Unis pour les Balkans occidentaux Gabriel Escobar ont écrit sur l’ASM :

« Ce que la Communauté ne serait pas : Elle ne constituerait pas un niveau supplémentaire de pouvoir exécutif et législatif pour le gouvernement du Kosovo. Ce principe important remonte à la proposition d'Ahtisaari. Les municipalités pourraient coopérer en vue d'une gestion conjointe de leurs domaines de compétence dans le cadre des institutions et des structures légitimes du Kosovo. Et il serait donc permis à certaines municipalités d'exercer plus efficacement les pouvoirs qu'elles détiennent déjà ... »

« A quoi la Communauté ressemblerait-elle ? Les municipalités ayant des intérêts, une langue et une culture en commun pourraient collaborer plus efficacement pour résoudre des problèmes communs rencontrés en matière de fourniture de services publics, grâce à des économies d’échelle et à l’échange de bonnes pratiques. Par exemple, les municipalités seraient en mesure de concevoir des programmes scolaires en langue serbe pour les écoles locales dans certaines municipalités, plutôt que de travailler en vase clos et d’effectuer un double travail. »

En février/mars 2023, dans ce que l’on nomme l’accord de Bruxelles/Ohrid (en anglais), les mots association ou communauté des municipalités à majorité serbe n’apparaissaient pas. Là encore, les deux (!) parties s’engageaient à « assurer un niveau approprié d'autogestion pour la communauté serbe du Kosovo et de capacité de fourniture de services dans des domaines spécifiques, y compris avec le soutien financier éventuel de la part de la Serbie. »

En décembre 2023, l’ambassadeur américain au Kosovo, Jeffrey Hovenier l’a dit encore une fois :

« La position des Etats-Unis a été claire. Nous pensons que l’Association des municipalités à majorité serbe doit être conforme à la constitution actuelle du Kosovo, à la décision de la Cour constitutionnelle, qu’elle ne doit pas être le troisième niveau de gouvernement et qu’elle ne doit pas avoir d’autorités exécutives. Nous ne voulons pas d’une autre Republika Srpska, nous ne voulons pas de quelque chose qui affecterait négativement le bon fonctionnement de l’Etat du Kosovo. »

Le 22 mars 2024, dans la liste des engagements post-adhésion envoyée à l’APCE par les trois dirigeants du Kosovo, ceux-ci se sont engagés à « prendre des mesures importantes et concrètes afin de mettre en œuvre tous les articles de l’Accord de Bruxelles et de l’Accord d’Ohrid, ce qui inclut l’établissement de l’Association des municipalités à majorité serbe dès que possible. »

Martti Ahtisaari was awarded the Nobel Peace Prize in Oslo City Hall on December 10, 2008. Photo: Hannu Lindroos. https://cmi.fi/martti-ahtisaari/about/
Le grand médiateur et son prix

 

 

PLUS : La contribution de Martti

 

Le 17 février 2008, 109 membres de l’Assemblée du Kosovo ont fait une déclaration :

« Nous, dirigeants démocratiquement élus de notre peuple, déclarons par la présente que le Kosovo est un Etat souverain et indépendant. Cette déclaration reflète la volonté du peuple et est en pleine conformité avec les recommandations de l’envoyé spécial de l’ONU Martti Ahtisaari et avec sa proposition globale de règlement portant statut du Kosovo … »

Cette déclaration faisait référence à la proposition globale de Martti Ahtisaari, qui comprenait les points suivants concernant la décentralisation et l’autogestion – depuis lors incorporés dans la constitution et la législation du Kosovo :

« La proposition accorde une attention particulière aux besoins et aux préoccupations de la communauté serbe du Kosovo, qui pourra exercer un degré élevé de contrôle sur ses propres affaires. Parmi les principaux éléments de cette décentralisation, on retiendra : l’élargissement des compétences municipales des municipalités à majorité serbe du Kosovo (dans les soins de santé secondaires et l’enseignement supérieur, par exemple); le renforcement de l’autonomie des municipalités en matière financière, qui pourront notamment recevoir, en toute transparence, des financements provenant de Serbie; plusieurs dispositions relatives à la création d’associations de municipalités et à la coopération à travers la frontière avec les institutions de Serbie; et la création de six municipalités à majorité serbe du Kosovo qui sont soit entièrement nouvelles, soit considérablement élargies. »

« Conformément aux principes consacrés par la Charte européenne de l’autonomie locale, les municipalités ont le droit de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s’associer avec d’autres municipalités du Kosovo pour la réalisation de tâches d’intérêts communs.

Les municipalités peuvent confier à des associations de municipalités l’exercice de responsabilités relevant tant de leur compétence propre que de leur compétence élargie, mais non l’exercice de compétences municipales fondamentales …

Les associations de municipalités peuvent prendre toutes mesures nécessaires à la mise en œuvre et à l’exercice de leur coopération fonctionnelle, notamment en se dotant d’un organe de décisionLes actes et décisions des associations de municipalités sont soumis à une obligation de déclaration à l’organe central compétent …

Conformément aux principes consacrés par la Charte européenne de l’autonomie locale, les municipalités ont le droit de créer et d’adhérer à une association des municipalités du Kosovo pour la protection et la promotion de leurs intérêts communs, dans le cadre de la loi.

Seules les municipalités du Kosovo sont autorisées à adhérer à ces associations. Ces associations peuvent coopérer avec les collectivités locales d’autres États. Ces associations sont habilitées à offrir à leurs membres un certain nombre de services, notamment sous forme de formations, de renforcement des capacités, d’aide technique, de recherche sur des questions de compétence municipale et de recommandations sur les politiques.

Les municipalités ont le droit de recevoir une aide financière de la République de Serbie, sous réserve des dispositions suivantes : L’aide financière accordée par la République de Serbie à des municipalités du Kosovo ne peut servir qu’à faciliter l’exercice par une municipalité de ses responsabilités dans les domaines relevant de sa compétence propre; elle doit être transparente et être rendue publique.

Les municipalités peuvent recevoir une aide financière de la République de Serbie en ouvrant dans des banques de dépôt des comptes qui doivent être certifiés par l’organe central de contrôle bancaire du Kosovo. Toutes les sommes reçues sont déclarées au Trésor central. Les municipalités qui reçoivent une aide financière de la République de Serbie inscrivent les montants de cette aide, ainsi que ceux des dépenses correspondantes, dans le budget municipal ... »